Le départ de Bernard Pivot me rend nostalgique de ces belles années de télé où l’on pouvait entendre et voir de grandes figures tutélaires de la littérature débattre de textes allant du plus lyrique au plus sulfureux. Bernard Pivot, surnommé «le Roi Lire», en a longtemps été le centre névralgique.

Il fut non seulement passeur de livre, mais également passeur de rêves, de questionnements, de curiosité, en nous mettant en contact direct, via ses célèbres émissions «Apostrophes» et «Bouillon de culture» avec la crème de la crème intellectuelle de 1975 à l’an 2001.

En fait, il fut un grand passeur des idées de son temps, et du temps d’avant, comme de celles annonçant le temps d’aujourd’hui. C’est pour cette raison, je crois, qu’il a tant marqué cette génération. D’une certaine manière, il a été le «professeur préféré» de centaines de milliers de personnes, comme l’a aussi démontré l’incroyable popularité de ses fameuses dictées.

Adieu, Monsieur le Professeur!

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On dit que Pivot recevait des dizaines de livres par jour. Bref, autant de livres dans une journée que l’Acadie d’alors en publiait en un an, la production littéraire étant fort modeste à l’époque. En fait, on situe généralement le début de l’édition en Acadie à l’année 1972, date de la fondation des Éditions d’Acadie.

Et, ironie de l’histoire, les Éditions d’Acadie se sont éteintes en 2000. Elles auront vécu le temps des deux émissions phares de Pivot! Depuis, d’autres maisons ont pris le relais avec succès, contribuant ainsi à faire connaître les écrivains acadiens et à libérer la parole acadienne.
Parallèlement, les salons du livre sont apparus dans le décor. Le premier, et longtemps le seul, celui d’Edmundston, fut fondé par mon merveilleux ami feu Gérard Lavoie, en 1986.

Pour en avoir discuté à maintes reprises avec lui, je sais que Gérard, qui n’était pas écrivain mais amoureux de littérature depuis nos cours en belles-lettres et rhéto, visait essentiellement la création d’un salon porté sur la vie et la création littéraires.

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Il avait constaté l’anémie culturelle de la francophonie du Niou-Brunswick à cet égard et voulait mordicus combler cette disette en faisant venir la littérature à Edmundston!

Appuyé par quelques profs dévoués, il voulait que le salon soit plus qu’un lieu où l’on viendrait s’approvisionner en livres. Comme Pivot, il voulait faire lire.

Et il voulait faire du salon un grand moment de fête où toute la ville d’Edmundston vivrait au rythme de la littérature française, grâce à la participation active de personnalités, d’écrivains, de professeurs et d’experts venus disséminer la bonne parole littéraire. Une sorte de foire littéraire, quoi!

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Parti trop tôt, il a quand même fait faire un bon bout de chemin à cet égard à sa ville natale. Même si le salon a quelque peu bifurqué en cours de route, pour se faire tout à tous, cet événement n’en demeure pas moins un moment fort de la vie culturelle brayonne et acadienne.

À tel point d’ailleurs que d’autres salons tout aussi courus ont maintenant pris souche à Shippagan et à Dieppe. Pour le plus grand bénéfice des parlants français de la province.

J’imagine que Bernard Pivot aurait été étonné d’apprendre que son influence télévisuelle a indirectement joué dans la prise de conscience des pionniers des maisons d’édition et des salons du livre qui fleurirent alors en Acadie.

L’Acadie partait de loin! Et ce qui est admirable, c’est que malgré ses ressources limitées et son inexpérience en la matière, l’Acadie a maintenu le cap, faisant beaucoup avec peu de moyens.

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Cela dit, ce n’est pas parce que les salons maintiennent une affluence annuelle d’une dizaine de milliers de personnes (ou d’entrées?) que la littérature acadienne peut se reposer sur ses lauriers et que la langue française est sauvée!

Car aux manchettes annuelles célébrant l’affluence aux salons du livre succèdent d’autres manchettes, tout aussi annuelles, déplorant le déclin du français au pays!

On jubile, on s’alarme; on jubile, on s’alarme. On joue une partie de ping-pong linguistique dont on ignore l’issue, évidemment, bien qu’il ne faille pas être grand devin pour soupçonner que le temps ne joue pas en notre faveur. Comment se sortir du pétrin

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Je n’ai pas de réponse absolue à cette question. Plus j’avance en âge et en soliloques sur l’agonie du fait français au pays, plus je sens ma capacité de résistance s’affaiblir. Mon indignation ramollit!

Je vois autour de moi des écrivains qui s’échinent sur des recueils de poésie, des contes jeunesse, des manuels de mieux-être, des livres de recettes. Tant mieux. Mais en ce qui a trait au nec plus ultra de la littérature – le roman – on peine à émerger du lot.

À l’exception d’Antonine Maillet, ils sont rares les écrivains acadiens qui ont su percer en France, qui demeure, quoi qu’en dise ses détracteurs, la Mecque du milieu littéraire s’exprimant en français.

Mais on peut espérer qu’un Sébastien Bérubé, auteur d’un roman ébouriffé «Rivières-aux-Cartouches», dont la posture délibérément régionaliste est tellement maîtrisée qu’elle plonge en plein dans l’universel, puisse plaire aux Français par son «exotisme».

N’ayons pas peur des mots: c’est un chef-d’œuvre! Une allégorie sur le réel trivial qui nous propulse hors de notre bulle, de nos certitudes, de nos lieux communs et nous élève au rang d’acteurs d’une histoire en spirale impossible à figer dans un polaroid. Un bijou à savourer une phrase à la fois.

J’ose penser que Pivot, qui affectionnait les mots d’antan, les mots d’ailleurs et les mots du jour aurait apprécié ce roman truffé de fulgurances.

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Voilà que je jubile à mon tour après avoir esquissé quelques signaux d’alarme! Encore ma mozusse de dissonance cognitive!

Mais c’est la faute à Bernard! C’est lui qui, en farfouillant dans les entrailles des mots et des idées, m’a amené, comme tant d’autres, à vouloir discerner, dans le péril, les quelques récifs sur lesquels on peut, encore et toujours, espérer s’accrocher. Merci, Bernard.

Han, Madame?

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